Des églises en bois en Podkarpackie

Elles mériteraient à elles seules plusieurs voyages. Situées aux confins orientaux de l’Europe centrale, dans les montagnes densément boisées de la Pologne et de l’Ukraine, les églises en bois de Podkarpackie portent la marque indélébile d’une immense ferveur populaire. Pour la plupart, elles ont été construites entre le 15e et le 19e siècle par des communautés de confessions, orthodoxes, catholiques romaines ou grecques-catholiques. Assemblés sans clous à l’aide de centaines de rondins disposés horizontalement et qui se superposent vers le ciel, ces sanctuaires sont les chefs d’œuvre des artisans charpentiers, qui au fil du temps ont transformé les hauts mélèzes en temples inspirés.  Plus tard, leurs façades ont été recouvertes de bardeaux, des petites tuiles de pins carrées ou rectangulaires, qui sont chargées d’accentuer la finesse des détails architecturaux. A l’intérieur, une belle surprise attend les visiteurs.  Dès le portail franchi, ils sont émerveillés par la richesse des peintures murales, des maitres-autels et des sculptures en bois finement ouvragées. Dans une semi-pénombre, parfois à la lueur de la bougie, ils découvrent dans une atmosphère de profond recueillement les fresques et les bas-reliefs qui évoquent des épisodes de la vie des saints ou les turpitudes des démons.

Les églises pourvues d’iconostase sont de rite byzantin. Dans les sanctuaires orthodoxes, cette cloison de bois ou de pierre décorée d’icônes sépare les lieux où se tient le clergé du reste des fidèles. Les autres, catholiques romaines, racontent la bible en images sur la moindre parcelle de paroi en bois disponible. Souvent édifiées en rase campagne, aucune église n’est semblable à une autre. Elles possèdent toutes leur charme et la richesse des saintes icônes, des lutrins et des Vierges à l’enfant, contrastent avec la sobriété du matériau de construction employé. Les églises orthodoxes dont les plus anciennes datent du Moyen Age sont aussi le souvenir d’une époque où les frontières de la Pologne s’étendaient loin vers l’Est. Ces emblèmes de prospérité et de puissance plaçaient alors le piémont des Carpates au centre de toutes les cultures, conflits et religions. Un temps pas si lointain, où les lieux de cultes étaient largement financés par la noblesse locale qui en retirait pouvoir et prestige. Les menuisiers-bâtisseurs s’inspiraient alors d’une architecture monumentale qui plongeait ses racines dans la tradition byzantine.  Dans cette partie encore peu visitée de la Pologne, les premières églises inscrites sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco ont été en 2003 Haczów et Blizne. Elles ont été ensuite rejointes dix ans plus tard par celles de Powroznik, Brunary Wyżne, Smolnik, Turzańsk, Chotyniec, Owczary et enfin Radruż et Kwiaton.

Aujourd’hui, les églises en bois du sud de la Petite Pologne célèbrent indistinctement les offices dans les deux rites, pour les croyants orthodoxes et les catholiques romains. Sur ces terres de Podkarpackie longtemps meurtries et chahutées par les vicissitudes de l’histoire, il est désormais possible de visiter une trentaine d’églises en bois ou« Tserkvas ». Symboles de toute une région, elles sont reconnaissables à leurs toits caractéristiques, surmontés de bulbes, de dômes et de tourelles. Ce patrimoine architectural et culturel unique est désormais inclus au programme des neuf itinéraires touristiques qui regroupent sur plus de 1200 km quelque 130 bâtiments en bois civils et religieux. A cet égard, l’église de Haczów compte parmi les plus anciennes de Pologne et constitue la plus vaste église gothique en bois dans le monde. Elle fut vraisemblablement bâtie à la fin du 14e siècle. Sa charpente n’a pratiquement pas changé depuis sa construction. Pourtant, la stratification de ses formes architecturales et ornementales est encore parfaitement lisible. Elle est dotée d’un riche décor sculptural et pictural, notamment d’une décoration monumentale qui abrite la plus grande collection polonaise de peintures figuratives du 15e siècle. Les autels latéraux datent pour leur part du 17e siècle. Cette perle du patrimoine religieux polonais a été depuis agrandie et sans cesse rénovée jusqu’à son inscription sur la liste de l’Unesco. En tant que lieu de culte, elle a fonctionné jusqu'en 1948, puis a commencé à se détériorer. Dans les années 60 et 70 son mobilier (les autels, les bancs, les tableaux et autres équipements) a été transporté au musée de Sanok et au manoir à Krościenko Wyżne. 

Sous l’invocation de Tous les Saints, l’église  gothique  de Blizne date du 1470. Elle est également inscrite à l’Unesco. Au 16e et au 17e siècle, le sanctuaire a été décoré d’une riche polychromie ornementale et figurale et rénové une première fois en 1811. La sérénité et la simplicité des lieux a longtemps inspiré Karol Józef Wojtyła, le futur pape Jean-Paul II qui aimait s’y recueillir. Aujourd’hui, Blizne s’impose comme l’un des plus précieux édifices de l’architecture médiévale sacrale en bois de Pologne, notamment en raison de la valeur artistique inestimable de ses fresques. Des passages de la bible en images initialement destinés aux illettrés du village. Située sur une colline, l’église orthodoxe de la Nativité-de-la-Sainte-Vierge de Chotyniec qui date du tout début du 17e siècle est actuellement d’obédience grecque-catholique. Les parois de sa nef sont couvertes de polychromies figuratives et ornementales uniques, remontant à la première moitié du 18e siècle, tandis que l’iconoclaste date probablement de 1671. C’est aussi l’une des plus vielles églises gréco-catholiques en bois de Pologne. La galerie autour de la chapelle menant à la tribune pour séparer les moines des fidèles, représente un type rarissime d’église orthodoxe. A quelques pas de là, se trouvent les vestiges d’un ancien cimetière et un clocher en bois.

 

Loin de tomber en ruines ou d’être laissées à l’abandon, les églises en bois de Podkarpackie font depuis la chute de l’URSS l’objet de toutes les attentions. Lorsqu’elles sont pleines à craquer, il arrive que des haut-parleurs soient installés sur les façades pour permettre aux fidèles agenouillés à l’extérieur d’entendre distinctement la messe. De quoi susciter, tout du moins dans cette partie de l’Europe centrale, de nouvelles vocations…