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Jean Louis Raduit de Souches, héros rochelais chez les Habsbourg




Inconnu en France, Jean Louis Raduit de Souches est considéré aujourd’hui comme le plus grand homme de Brno, actuelle capitale de la Moravie, région orientale de la République tchèque et deuxième ville du pays.



Originaire de La Rochelle, ce chevalier français huguenot s’est illustré, au cours de l’année 1645, en défendant avec bravoure et succès la ville de Brno, face à l’assaillant suédois soucieux de s’emparer de la forteresse de Špilberk dominant la cité pour fondre ensuite sur Vienne, berceau de la dynastie habsbourgeoise. C’est compter sans Jean Louis Raduit de Souches, personnage emblématique méritant une place prestigieuse dans l’Histoire de l’Europe centrale et du Nord du XVIIème siècle.
 

Reconstitution en 2017 du siège de Brno au pied de la forteresse de Spilberk - © H. Gouleret
Reconstitution en 2017 du siège de Brno au pied de la forteresse de Spilberk - © H. Gouleret
La Journée de Brno, un vibrant hommage à la défense héroïque et victorieuse des Brnois

Chaque année, à la mi-août, à la date anniversaire du siège de la ville, la population fête le vaillant et fin stratège, le chef militaire des défenseurs de la cité morave. Désigné sous le nom de Journée de Brno, cet événement se conclut par la reconstitution de l’un des faits d’armes des assiégés. Mais cela commence, la veille au soir, par un office religieux en l’Eglise Saint-Pierre et Paul, précédé d’un défilé dit « de la lanterne » - en costumes d’époque - et d’une cérémonie de dépôt de couronne devant l’autel pour honorer les victimes du siège. Office placé sous les auspices du maire et de l’évêque de Brno.
Le lendemain matin, un honneur à Jean Louis Raduit de Souches est rendu en l’Eglise Saint-Jacques, suivi d’une parade militaire sur la place Svobody (place de la Liberté) avant que l’ensemble des troupes ne rejoigne le terrain des sports de Kravi Hora, lieu de la reconstitution du siège. En 2017, le fait d’armes consistait pour les assiégés à détruire la batterie suédoise forte de quatre canons, redoutable menace contre les Brnois retranchés dans la forteresse.
 

Jean Louis Raduit de Souches - © H. Gouleret
Jean Louis Raduit de Souches - © H. Gouleret
Une carrière placée sous le signe des armes
 
Issu d’une famille huguenote, Jean Louis Raduit de Souches - nous l’appellerons JLRDS - naît le 16 août 1608. Après la prise de La Rochelle, en 1628, par le Cardinal de Richelieu, il ne traverse pas l’Atlantique, comme la plupart de ses compagnons d’armes, pour gagner la Nouvelle France. En outre, il est le fils puîné et ne peut espérer hériter des terres familiales.
Selon ses convictions religieuses, il décide de rejoindre la Suède protestante et se met au service de la reine Kristina Vasa, plus connue chez nous sous le nom de Christine de Suède. Là, il va apprendre l’art suédois de la guerre.
C’est la Guerre de Trente Ans. Une guerre de religion politique avec pour origine la « défenestration de Prague » en 1618. Un conflit entre catholiques et protestants dont l’issue aboutira, en partie, à l’éclatement du Saint Empire germanique des Habsbourg.
 

Reconstitution en 2017 du siège de Brno au pied de la forteresse de Spilberk - © H. Gouleret
Reconstitution en 2017 du siège de Brno au pied de la forteresse de Spilberk - © H. Gouleret
Au bout de quelques années, son sentiment patriotique renaît et il est nostalgique de la France. Il y revient en 1636 et demande une audience à Louis XIII pour intégrer l’armée royale. Accordée au bout de dix-huit mois, l’entrevue, malgré plusieurs propositions du roi, ne satisfait pas pleinement JLRDS. Déçu, il retourne en Suède en 1639. Le 10 août de la même année, il est promu colonel et se voit confier le commandement d’un régiment de dragons, puis d’infanterie. Il rencontre plusieurs membres de l’état-major, notamment un certain général Lennart Torstensson, le futur assaillant de Brno. Mais, alors qu’il se trouve engagé en Silésie, certaines décisions du Haut commandement militaire suédois l’empêchent de remplir sa mission comme il le souhaiterait. Il démissionne de ses fonctions et quitte la Suède en 1642.

Reconstitution en 2017 du siège de Brno au pied de la forteresse de Spilberk - © H. Gouleret
Reconstitution en 2017 du siège de Brno au pied de la forteresse de Spilberk - © H. Gouleret
C’est alors qu’il se met au service de l´Empereur d´Autriche Ferdinand III de Habsbourg, en guerre contre la Suède et son allié français. C’est le frère cadet de ce dernier, Léopold Guillaume – évêque, entre autres, de Strasbourg, Brême, Passau, et archevêque de Magdebourg… - qui engagera JLRDS en qualité de mercenaire, l’armée impériale manquant de commandants. Le monarque espérait, par là, profiter de ses connaissances de l´ennemi suédois. La question de la confession protestante de la nouvelle recrue ne se posait pas vraiment. De son côté, poussé par son esprit militaire, JLRDS n’hésite pas à mettre entre parenthèses sa foi huguenote pour servir une dynastie catholique.

 

Reconstitution en 2017 du siège de Brno au pied de la forteresse de Spilberk - © H. Gouleret
Reconstitution en 2017 du siège de Brno au pied de la forteresse de Spilberk - © H. Gouleret
Un engagement total pour la Moravie

En juin 1642, la ville d’Olomouc, en Moravie du Nord, tombe aux mains des Suédois de Torstensson. Une tentative pour la délivrer, à laquelle participe JLRDS, échoue. Cependant, le courage et la vaillance du Français font merveille et Ferdinand III lui confie, le 14 mars 1645, le commandement de la ville de Brno dans laquelle il arrive le lendemain. En six semaines, avec l’aide du commandant de la forteresse, Georges Ogilvy, il organise la défense, établit des fortifications, se servant à la fois de ses expériences vécues pendant le siège de La Rochelle et au sein de l’armée suédoise.
Pendant ce temps, fort de ses succès, le général suédois poursuit son avancée avec comme objectif la prise de Vienne. Seulement, un obstacle barre la route de la capitale habsbourgeoise : la ville de Brno et sa forteresse de Špilberk.
Les Suédois se présentent devant la cité morave le 3 mai 1645 et Lennart Torstensson, leur commandant en chef, le lendemain. Avec une certaine suffisance, le général suédois se donne une petite semaine pour la conquérir…
 

Le siège de Brno en 1645 - © DR
Le siège de Brno en 1645 - © DR
Une résistance héroïque de 112 jours 

La garnison de Brno comptait 1 476 hommes dont seulement 426 soldats. Deux régiments de 150 combattants chacun, sont formés à la hâte. Parmi lesquels 20 étudiants, des compagnons et des soldats. Leur engagement sera total et souvent déterminant. En face, l’armée suédoise, forte de 28 000 hommes, encercle la forteresse, empêchant toute tentative extérieure pour briser le siège. Commandés par JLRDS, les Brnois font preuve d’une résistance héroïque. N’hésitant pas à tenter des sorties pour détruire les installations suédoises. Les semaines passent. Les attaques de l’assaillant sont, chaque fois, repoussées.
A la tête d’une armée épuisée et confronté à un ravitaillement qui se fait attendre, le stratège suédois, pressé par le temps, décide une attaque généralisée le 15 août. Ce qui renforce la détermination des assiégés qui défendaient leur foi. Pensez donc, le jour de l’Assomption de la Vierge Marie. Celle qui étend sa main protectrice au-dessus de la ville.
Précédée par un feu nourri des canons suédois, de 5h à 16h, interrompu deux fois par la pluie, l’attaque est déclenchée une heure plus tard, simultanément, en six endroits différents. La situation devient critique pour les assiégés manquant de céder par trois fois, mais qui, grâce à une défense héroïque, réussissent malgré tout à tenir. Il faut dire qu’ils n’avaient rien à perdre. Les Suédois ne feraient pas de quartier. A fortiori pour JLRDS, considéré par eux comme un traître, poursuivi qu’il est par la cour martiale suédoise.

Les assiégés attaquent et détruisent la batterie de canons suédoise - © H. Gouleret
Les assiégés attaquent et détruisent la batterie de canons suédoise - © H. Gouleret
Les premiers doutes suédois

La résistance des Brnois est telle que Tostensson est envahi par le doute. Ses troupes ont subi de nombreux revers. D’autre part, les éléments s’en étaient déjà mêlés. Un violent orage s’était abattu sur Brno le 14 juin, envahissant d’eau les tranchées, noyant de nombreux Suédois. Le 26 juin, forçant les défenses suédoises, 400 cavaliers impériaux étaient entrés dans la ville, apportant aux assiégés un renfort attendu - JLRDS en avait été prévenu - et des sacs de poudre, augmentant ainsi leur moral.
Le 8 août, deux cent cinquante dragons impériaux avaient réussi, à nouveau, à pénétrer dans la ville, apportant des munitions nécessaires au feu des canons, notamment 350 livres de soufre.
 

Le renoncement de Torstensson

Au soir de la grande attaque, après le coucher du soleil, le général en chef suédois demande une trêve pour faire enlever les morts et les blessés. Ce que refuse JLRDS qui fêtera la victoire et son anniversaire le lendemain.
Le 20 août, Torstensson obtiendra l’autorisation d’enlever morts et blessés. Dans le même temps, il est procédé à l’échange des prisonniers et les premières troupes suédoises quittent leurs campements. Le 23, toute l’armée de Torstensson lève définitivement le siège de Brno.
Les pertes humaines s’élèvent à seulement 250 morts et 150 blessés du côté des assiégés. Les Suédois déplorent la perte de 8 000 soldats.

Le triomphe de Jean Louis Raduit de Souches

JLRDS reçoit un courrier de Ferdinand III le remerciant de son dévouement. La municipalité de Brno fête son héros et lui offre de splendides présents. De son côté, l’empereur accorde de nombreux droits aux habitants de la cité. L’archiduc Léopold Guillaume nomme JLRDS général major. Il obtiendra, ensuite, le titre de comte. Le commandant de la forteresse de Špilberk, Georges Ogilvy, est promu colonel et élevé au titre de libre seigneur.
 

Reconstitution en 2017 du siège de Brno au pied de la forteresse de Spilberk - © H. Gouleret
Reconstitution en 2017 du siège de Brno au pied de la forteresse de Spilberk - © H. Gouleret
Des conséquences sur toute l’Europe centrale
 
Par cet acte de résistance, JLRDS met fin aux attaques répétées contre Vienne, la capitale des Habsbourg, et à la réputation d’invincibilité du chef des armées suédoises, Lennart Torstensson. Encore auréolé de sa victoire et nommé à la tête de la Moravie en octobre 1645, il se voit confier la lourde tâche de reconstruire les défenses de Brno. Il eut alors comme autre objectif de chasser les Suédois qui tenaient toujours plusieurs places fortes au nord de la Moravie et de la Bohême. Quatre ans durant, de 1646 à 1650, il les repousse jusqu’en Silésie et en Allemagne. Puis, de 1655 à 1660, il les chassera de Pologne et entamera la reconquête de la Poméranie.

La poussée des Ottomans

Mais un autre danger se profile aux frontières de la Hongrie. Les Ottomans, plus précisément les Tatars - peuple turc très cruel -,  envahissent la Transylvanie en 1659, pillant et massacrant les habitants. L’année suivante, JRLDS part à la tête d’une petite armée avec mission d’aider les Hongrois et briser le siège de Nagyvarád (l’actuelle Oradea). Mais il doit renoncer et la ville tombe aux mains des Turcs qui, dès 1663, avancent inexorablement vers l’Ouest, conquérant les villes l’une après l’autre. En 1663 et 1664, il réalisent plusieurs incursions en Moravie et pillent les environs de Mikulov et Brno, remontant même jusqu’à Olomouc.
Nommé par l’Empereur commandant de la Moravie le 25 mai 1663, JLRDS tente d’arrêter ces incursions, mais il dispose de faibles moyens. Contre les Turcs forts de 80 à 100 000 hommes, purent être seulement mobilisés quelque 6 000 hommes.
En 1664, les forces impériales ont été renforcées et comptent désormais 90 000 hommes. A la fin mars, JLRDS commence la reconquête. Nitra est prise le 3 mai, puis c’est au tour de Levice le 14 juin. Son principal coup d’éclat est la bataille qui l’oppose à une armée turque le 19 juillet. L’ennemi y perd 6 000 hommes et de nombreux canons. Les Ottomans sont repoussés au-delà du Danube.

Défilé des vaincus suivis des vainqueurs - © H. Gouleret
Défilé des vaincus suivis des vainqueurs - © H. Gouleret
Un expert reconnu en fortifications

Son talent à assurer la défense de places fortes a été reconnu. Il prend part à la restauration des défenses des villes impériales de Moravie, Autriche et actuelle Slovaquie. Il fait également renforcer de vieux forts et en construire de nouveaux.
 
Des attributions dans l’administration impériale

Il reçoit, en 1665, à Vienne, un mandat politique dans l’administration de l’Empire et devient conseiller secret. Trois ans plus tard, il est nommé commandant de la garnison de la ville de Vienne et réside au numéro 16 de Singerstrasse,  l’actuel Palais Neupauer-Breuner.

Tombe de Jean Louis Raduit de Souches en l'Eglise  Saint-Pierre et Paul de Brno - © H. Gouleret
Tombe de Jean Louis Raduit de Souches en l'Eglise Saint-Pierre et Paul de Brno - © H. Gouleret
Le temps de la disgrâce

Son dernier combat, il le mènera aux frontières de sa France natale, en Belgique. Louis XIV est en guerre contre les Alliés (Autriche, Espagne, Hollande). En 1673, JLRDS est envoyé au combat à la tête de l'armée impériale, composée de 21 000 hommes. C’est la bataille de Seneffe, la plus sanglante de la Guerre de Trente Ans. Vingt mille hommes y sont tués dans les deux camps. Grâce à une attaque surprise de Condé, les troupes alliées sont désorganisées mais le résultat de la confrontation restera indécis. Devenu irascible, ombrageux, JLRDS se dispute avec le commandant des alliés, Guillaume d´Orange. Ce qui le met en disgrâce auprès de l’Empereur. Après une tentative de réhabilitation qui se termine par un échec, il est sommé de rester sur ses terres et démis de ses fonctions militaires. Il conserve, toutefois, sa fonction politique de conseiller secret.
Il se retire  en son château de Jevišovice acquis en 1649, où il meurt, aveugle et atteint de troubles psychiques, le 12 août 1682.

Un ambassadeur des lettres françaises

Fin lettré, il disposait à Jevišovice d'une bibliothèque d'environ 3 000 volumes en cinq langues. L'une des plus riches bibliothèques de Moravie au XVIIème siècle. De surcroît très originale, avec 1 250 titres en français parmi lesquels se côtoyaient la littérature militaire, des biographies - Jeanne d'Arc, Louis XIV, Mazarin, Richelieu, Saint-Louis -, des textes littéraires et philosophiques - Corneille, Descartes, Rabelais. Véritable îlot de culture française dans un pays où les langues officielles étaient l'allemand et le tchèque.
Jean Louis Raduit de Souches peut être considéré, à juste titre, comme un Européen du XVIIème siècle ayant marqué son temps par son passage au plus haut niveau, dans plusieurs pays d’Europe, et son influence à écrire leur Histoire.

Les honneurs de sa patrie au… XXIème siècle

L’année 2018 marquera la reconnaissance de Jean Louis Raduit de Souches par sa ville natale de La Rochelle. Dans les mois à venir, sera inaugurée une passerelle portant son nom, reliant le nouveau quartier Mangin, récemment réhabilité, au centre-ville.
Jean Louis Raduit de Souches fera alors partie à part entière de l’histoire de la cité charentaise même si ses hauts faits d’armes se sont déroulés au cœur de l’Europe, à Brno.
Rochelais il était, Rochelais il restera.

Pour en savoir plus :
-
www.raduitdesouches.cz/fr/
- www.e-sorbonne.fr/sites/www.e-sorbonne.fr/files/theses/Klapka_Petr_2012_these.pdf

Pour préparer votre voyage : www.czechtourism.com/fr/home/

Hubert Gouleret

 
Mardi 6 Février 2018
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