La couverture de mon ouvrage est à elle seule une histoire particulière. Je suis à Kânnauj dans l’état de l’Uttar Pradesh, le village où l’on distille quinze jours par an les pétales de roses pour en faire de fabuleux parfums. Nous avions effectué une route assez longue et difficile dans la plaine indo gangétique qui est restée très pauvre et reculée. Au terme d’un parcours épuisant, nous arrivons le soir au village et allons directement chez le distillateur pour prendre contact et organiser le reportage pour les jours suivants.
Photo J.B. Rabouan
La nuit tombait et il n’y avait absolument pas matière à photos. Tout d’un coup, en parlant avec le patron de la distillerie, j’aperçois à travers une petite porte qui donnait sur un patio, un homme en train d’étaler des pétales de roses. Je trouve cela assez impressionnant et je questionne notre hôte à ce sujet qui me dit : « Demain, nous allons distiller ces pétales, c’est pour cette raison que nous les laissons sécher toute la nuit. » Je lui demande s’il allait recommencer l’opération tous les jours et il me répond : « Non, non, nous ne le faisons qu’un soir par an ».
N’écoutant que mon instinct de chasseur d’images, je me suis précipité sur une petite échelle en bambou. Je me suis ensuite hissé sur le toit du bâtiment à partir duquel j’ai pu réaliser cette photo, vue du dessus, dans des conditions de lumière plutôt difficiles. La photo qui en est sortie est assez représentative de ce que je veux raconter sur l’Inde. Un pays, à l’image de cette photo, dont la lecture peut sembler évidente et qui en même temps recèle beaucoup de phases cachées. Ce cliché a en apparence un côté rose et joyeux, mais si l’on regarde bien le détail de ce personnage, on se rend vite compte que derrière ce tapis de roses, se cache une vie rude et parsemée d’embuches.
Photo J.B. Rabouan
L’Inde a effectivement beaucoup changé ces dernières années en rompant définitivement avec son isolement pour devenir une superpuissance. Depuis l’indépendance de 1947, il existait un protectionnisme très fort qui faisait que l’Inde restait volontairement à l’écart des grands mouvements de la mondialisation. A partir des années 90, il y a une ouverture économique, puis une volonté de se développer, un peu à l’instar de son puissant voisin et rival la Chine. La démographie a explosé. Des petits villages perdus dans la campagne sont devenus des villes champignons qui se fondent de plus en plus aux mégapoles. Certes, il y a eu un miracle économique pour une classe moyenne qui prend de plus en plus d’importance au sein de la société indienne.
Mais, il y a aussi beaucoup de laissés pour compte et des problèmes internes au pays qui demeurent extrêmement graves et dont on ne parle pas beaucoup. Je suppose que l’Inde bénéficie d’un capital sympathie qui fait que nous mettons un peu de côté les enjeux sociaux et politiques du pays. Il y a aussi le conflit larvé, mais permanent avec le Pakistan, les guérillas indépendantistes au Cachemire et en Assam à l’Est. Et surtout le renouveau extrêmement virulent de la guérilla maoïste naxalite au centre de l’Inde. Cela se traduit par un soulèvement organisé et armé des laissés pour compte et des tribus. Ce conflit qui touche près de 30 % du territoire indien a déjà fait de nombreuses victimes et constitue une vraie menace pour l’Inde de demain.
Photo J.B. Rabouan
Mon prochain reportage pour Grands Reportages aura lieu début 2013 au Karnataka. C’est un état de l’Inde à cheval sur le Nord et le Sud qui est intéressant car c’est justement un parfait puzzle de peuples et de cultures. Il y a bien sûr sa capitale, Bangalore, qui est mondialement connue pour ses nouvelles technologies, ses entreprises innovantes et son programme spatial. Mais il y a également des tribus qui vivent de façon traditionnelle dans la vallée de la Kâverî ainsi que des sites archéologiques exceptionnels comme la cité de Hampi. C’est donc peut-être l’état qui illustre le mieux la permanence de l’Inde éternelle et les fabuleux changements qu’elle doit aujourd’hui gérer et affronter.
En complément de ce très beau-livre, le roman de Jean-Baptiste Rabouan « Un Jardin sur le Gange » plonge le lecteur dans les mystères et les contradictions de l’Inde contemporaine. Un road movie haletant, relevé et passionnant à travers le sous-continent indien qui nous fait découvrir sur fond de sagesse ancestrale et d’exode rural, la réalité implacable et cruelle de la guérilla naxalite.
Dans un village isolé du Rajasthan, on apprend la disparition d’un jeune homme parti travailler à Mumbai (Bombay). L’écrivain-public du village et un yogi venu de l’Himalaya partent à sa recherche à travers tout le pays. Confrontés à l’Inde d’aujourd’hui, l’homme de tradition et le mystique vont devoir, chacun à leur manière, entreprendre un voyage intérieur et initiatique...
Propos recueillis par David Raynal
Mother India
Rencontres au cœur de l'Inde multiple de Jean-Baptiste Rabouan
Editions Glénat
Pour commander l’ouvrage un « Jardin sur le Gange » : www.amazon.fr/Un-jardin-sur-Gange-contemporaine/dp/2954123311